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Institut Européen et International
Ashoka : inspirer le changement
Arnaud Mourot est co-directeur d'Ashoka Europe. Avec plus de 3500 entrepreneurs soutenus, Ashoka est le plus grand réseau mondial d'entrepreneurs sociaux. Sa mission est de former les acteurs de changement et de promouvoir une nouvelle vision de l'entrepreneuriat.
Ashoka est le plus grand réseau mondial d’entrepreneurs sociaux. Comment parvenez-vous à articuler l’échelle locale et l’échelle mondiale ?
Ashoka soutient les entrepreneurs sociaux sur des thèmes divers, notamment l’environnement, la santé, l’intégration sociale. La mission cœur de l’organisation est d’identifier et d’accompagner les hommes et les femmes qui posent un regard différent sur les problématiques de société en y apportant des solutions radicalement nouvelles, tout en prenant en compte la pérennité et la réplicabilité de leurs modèles. Ce réseau d’innovateurs sociaux nous permet d’identifier des tendances mondiales en matière de réponse à certaines grandes problématiques de société, et ainsi de passer d’un niveau de soutien individuel des entrepreneurs à une contribution plus collective, plus internationale à la construction du secteur de l’innovation sociale. Telle une fusée à deux étages, notre cœur de métier nous permet d’identifier de nouveaux paradigmes sectoriels.
On observe aujourd’hui qu’il n’y a pas forcément de projet universel, la portée géographique des projets est plutôt locale, à l’échelle d’une région ou d’un pays. Cependant, certaines solutions peuvent s’essaimer à l’échelle internationale, et nous accompagnons d’ailleurs nos entrepreneurs sociaux à le faire lorsque c’est possible. Ce qui nous intéresse ce n’est pas le copier-coller d’un modèle, mais l’exportation et le partage de ses grands principes d’intervention. Par exemple, le micro-crédit n’est pas un phénomène universel mais ses grands principes peuvent trouver une application et une adaptation locale.
La dimension collective dont je parlais plus haut entre aussi en jeu, parce que nous pensons que chaque entrepreneur apporte un élément de réponse à une question sociétale plus large, et c’est notre objectif de réunir les pièces de ce puzzle. Avant de chercher à faire grandir entreprises sociales en tant que telles, c’est la puissance de l’impact social que nous souhaitons maximiser.
L’un de vos objectifs est de créer un pont entre le secteur public, le secteur privé et les entrepreneurs sociaux. En quoi cette transversalité est-elle le modèle économique du futur ?
Les enjeux sociaux qui agitent le monde d’aujourd’hui concernent des milliards de personnes (accès à l’eau potable, à l’éducation, à une nourriture saine et équilibrée). Il est illusoire de penser que ces enjeux d’envergure mondiale seront réglés par les entrepreneurs sociaux d’un côté ou par la puissance publique seule : leur marge d’action est trop limitée face à la taille des enjeux. Nous avons donc cherché à mobiliser la force de frappe des grandes entreprises pour « industrialiser », et par là accroître l’impact des modes d’action des entrepreneurs sociaux. Mais il existe un écart culturel très important en matière de finalités et de méthodologies entre ces deux univers. Boehringer Ingelheim, laboratoire allemand spécialisé dans la santé, est aujourd’hui convaincu que collaborer avec les entrepreneurs sociaux est pertinent, que c’est un vrai enjeu de business et pas uniquement une question de responsabilité sociétale, et que l’innovation sociale est aussi importante que d’autres formes d’innovation. Il a fallu faire un véritable travail d’acculturation de l’entreprise, mais aussi former et sensibiliser les effectifs de Boehringer aux compétences et enjeux de l’entrepreneuriat social. Nous pensons que ce modèle est réplicable dans tous les autres secteurs parce qu’il permet de répondre à des problématiques qui requièrent des compétences nouvelles dans un monde en perpétuelle évolution.
Comment identifiez-vous les entrepreneurs sociaux à accompagner ? Privilégiez-vous ceux qui ont déjà fait leurs preuves, et pourquoi ?
Nous les sélectionnons à travers un processus rigoureux, qui est en vigueur dans les 90 pays où Ashoka opère. Il y a cinq grands critères de sélection :
- l’innovation : est-ce que c’est un projet innovant au sens systémique du terme ?
- le potentiel d’impact : est-ce que le projet a un impact local ou international ?
- les qualités entrepreneuriales du porteur de projet, qui sont tout aussi importantes que le projet en lui-même
- la créativité : quelle manière l’entrepreneur a-t-il de résoudre les problèmes, de construire sa stratégie pour atteindre ses objectifs ?
- la dimension éthique : l’entrepreneur est-il mû par une véritable motivation intrinsèque de résoudre un enjeu de société ?
Le processus de sélection dure 8 mois en moyenne, il est composé d’une succession d’analyses, d’entretiens, de rencontres et d’évaluations faites par des équipes locales et internationales, afin d’avoir une vision à 360° du projet. Cela assure aussi une complémentarité entre les différents entrepreneurs sociaux que nous soutenons dans le monde.
Quels accompagnements proposez-vous à votre réseau de Fellows Ashoka ? Avez-vous mesuré l’effet accélérateur de ces accompagnements ?
Nous octroyons, pendant trois ans, un financement qui va permettre à l’entrepreneur social de se concentrer exclusivement sur le développement de son projet. Nous allons ensuite accompagner le projet avec différents leviers, dont l’entrepreneur sélectionné pourra bénéficier tout au long de sa trajectoire entrepreneuriale :
- le mécénat de compétences : nous mobilisons une équipe de partenaires pro bono qui apportent une expertise technique dans les domaines juridiques, fiscaux, logistiques, stratégiques etc. Ils vont fournir un accompagnement humain adapté au niveau de développement du projet.
- un réseau d’autres entrepreneurs sociaux : nous mettons en relation tous nos porteurs de projet, afin qu’ils se nourrissent mutuellement des expériences vécues.
- un réseau d’entrepreneurs et dirigeants du monde du business: ces philanthropes sont des mentors qui partagent leur expérience dans la recherche d’investisseurs, le développement du projet, la stabilisation. Cette relation de mentorat peut s’inverser en faveur des entrepreneurs classiques, qui ont tout autant à apprendre des entrepreneurs sociaux.
Cet accompagnement a un effet très fort de labellisation et de prescription, car l’expérience Ashoka solidifie le projet de l’entrepreneur et lui confère une légitimité auprès des autres acteurs. En outre, le taux de survie des organisations de nos entrepreneurs est de l’ordre de 90% à 10 ans, et 9 projets sur 10 vont être répliqués par d’autres organisations indépendantes. Enfin, 50% des entrepreneurs que nous accompagnons auront une influence sur la mise en place de politiques publiques de leur secteur d’activité.
Vous proposez également de transformer les jeunes en acteurs de changement : peut-on apprendre à devenir un entrepreneur social ? Quelles sont les clés d’un entrepreneur social accompli ?
Chez Ashoka, être acteur de changement ne se réduit pas à être un entrepreneur social : chaque citoyen, par sa capacité d’action à son échelle, peut contribuer à résoudre des enjeux de société sans pour autant devenir entrepreneur social. En tout cas, notre expérience montre que devenir un acteur de changement requiert un certain nombre de soft skills, qui peuvent être acquises très tôt dans la vie. Nous avons constaté que près de 85% des entrepreneurs que nous accompagnons se sont lancés dans un projet à dimension entrepreneuriale dans leur adolescence.
Un des enjeux d’Ashoka, c’est de définir un nouveau paradigme dans l’expérience d’apprentissage des plus jeunes, qui leur permet de développer – en parallèle des savoirs fondamentaux - des compétences comme la confiance en soi, l’esprit de collaboration, la prise de risque, la remise en question, l’empathie etc. Dans un monde où la nature du travail est de plus en plus incertaine et où les individus seront amenés à changer d’emploi en moyenne quinze fois dans leur vie, il faut mettre en avant ces savoir-être et créer des espaces d’expérimentation où les jeunes peuvent apprendre de leurs réussites et de leurs échecs. Nous pourrons ainsi avoir une nouvelle génération de citoyens qui se sentent concernés par les enjeux de société et qui s’engagent autour d’eux pour une société plus juste, plus équitable, plus durable.
La figure de l’entrepreneur social s’impose de plus en plus dans le monde de l’entreprise. Pourtant, un bon nombre d’idées reçues persiste : comment les combattre ?
Il est important de donner de la visibilité aux entrepreneurs sociaux en massifiant leurs projets. Leur succès affiché permettra de lever ces résistances. Il faut que l’entrepreneuriat social devienne une nouvelle norme. Ce qui joue en notre faveur, c’est la quête de sens qui émerge dans la société : il y a vingt ans, on était quatre étudiants de l’école de commerce ESCP Europe à vouloir s’impliquer dans l’entrepreneuriat social une fois diplômés. Aujourd’hui, plus de 25% des promotions empruntent cette voie. Les individus aspirent à de nouveaux modèles de réussite et veulent maîtriser leur trajectoire de vie. Ce qui importe de plus en plus, c’est l’épanouissement, l’impact sur la société et le sens que l’on donne à son existence. Dans dix à vingt ans, j’espère que la frontière entre entrepreneuriat social et entrepreneuriat classique va s’estomper, que toute l’économie aura intégré une dimension sociale et toute entreprise sociale sera teintée d’économie. Je pense que c’est le sens de l’histoire.