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Brexit : quelles conséquences pour les banques ?

Marie-Anne Barbat Layani est directrice de la Fédération Bancaire Française (FBF). Elle répond aux questions de l'Institut dans le cadre de notre dossier sur le Brexit.

Brexit : quelles conséquences pour les banques ?

Vous êtes à la tête de la Fédération Bancaire Française (FBF). Pouvez-vous expliquer le rôle et la mission de cette fédération, en France, mais également dans un contexte européen et international ? 

La FBF représente 364 entreprises bancaires en France, dont 130 filiales ou succursales de banques étrangères. Elle est la voix de la profession sur tous les grands enjeux, notamment réglementaires. Elle a pour mission de promouvoir l'activité bancaire et financière en France, en Europe et à l'international.  C’est pourquoi nous sommes implantés à Paris, mais aussi à Bruxelles et à Francfort, et membres de la Fédération Bancaire Européenne. Nous faisons aussi beaucoup de pédagogie sur la banque y compris au travers d’un programme d’éducation financière très reconnu, « Les clés de la banque ».


Quels seront les impacts du Brexit pour l'équilibre bancaire européen ? Les banques européennes pourront-elles accuser ce choc ?

Le Brexit est un bouleversement majeur pour le financement de l’économie européenne. Londres est et restera une place financière majeure, mais l’Europe ne peut plus se reposer sur Londres pour assurer ses financements de marché. C’est une question stratégique : l’Europe doit assurer son indépendance financière. C’est un impératif et un grand projet politique dont l’Europe doit se saisir, notamment au niveau de la zone euro. 

Le Brexit, que nous n’avons pas souhaité, nous impose de relancer l’Union des marchés de capitaux. C’est une chance pour l’industrie financière continentale et française qui est bien placée,  avec 4 des 9 plus grandes banques de la zone euro, pour être le champion de cette nouvelle ère. Et il n’y aura pas de choc. Les acteurs économiques, dont les banques, s’adapteront et se préparent déjà à tous les scénarios, à la demande et sous le contrôle des régulateurs bancaires. 


Selon vous, à quoi ressemblera la coopération bancaire entre l’Europe à 27 et la Grande-Bretagne après le Brexit ? Existe-t-il encore beaucoup d’incertitudes ou parvenez-vous déjà à distinguer le profil de l’Europe financière post-Brexit ?

 L’Europe financière de demain, c’est un espace financier puissant dont les banques françaises seront les acteurs clés ! Il y a des incertitudes, mais il est clair que le centre de gravité de l’Europe financière post-Brexit sera recentré sur la zone euro. C’est une opportunité de transformer l’Union bancaire, en passant d’une « union de supervision » à une « union de financement », en y adjoignant le développement de vrais marchés de capitaux. C’est un projet essentiel et très enthousiasmant, que j’espère voir repris au niveau politique. Nous devons être ambitieux.
 
Quant à la coopération bancaire future avec la Grande-Bretagne, il est encore trop tôt pour se prononcer. Les négociations sur ce point n’ont même pas encore commencé.  


Avec le Brexit, les établissements financiers établis en Grande-Bretagne pourraient perdre le “passeport européen”. Plusieurs banques envisagent déjà de s’installer en France, en Allemagne ou encore en Irlande : serait-ce une aubaine pour la France, qui pourrait ainsi devenir la première place financière de l’Union Européenne ?

La sortie du Royaume-Uni de l’UE implique, pour les banques installées uniquement à Londres, la perte du « passeport européen », qui permet aux établissements bancaires implantés dans un Etat membre  de commercialiser leurs produits et services dans toute l’Union Européenne. Une partie des activités menées depuis Londres va donc se relocaliser au sein de l’UE. Le dimensionnement de ces mouvements dépendra des décisions réglementaires : les autorités de contrôle accepteront-elles les « banques boites aux lettres » ? Les infrastructures essentielles que sont les chambres de compensation devront-elles se relocaliser ? 

Après, c’est à chacun de se battre pour attirer un maximum d’emplois à haute valeur ajoutée sur son territoire. Paris a des atouts considérables. C’est une des seules places financières d’Europe continentale à avoir un écosystème complet : de grands acteurs financiers, de grands clients français et internationaux, une gamme très diversifiée d’activités et des pôles d’expertises financières reconnus, notamment dans la gestion d’actifs, la banque de financement et d’investissement, le capital investissement, la Fintech et les infrastructures de marché. 

Les banques françaises ont confirmé qu'elles choisiront naturellement Paris pour leurs relocalisations. Ce sont près d'un millier d'emplois qui pourraient être concernés, dont l'effet d'entrainement est d'au moins trois emplois indirects pour un emploi direct. Et plusieurs acteurs internationaux choisissent ou choisiront Paris.


L'Autorité Bancaire Européenne va également quitter Londres pour rejoindre le continent européen. Quelles sont les chances et l’intérêt pour la France d’héberger cette institution ? 

Puisque le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, l’ABE doit quitter Londres. Ce serait un signal supplémentaire si elle s’installait à Paris, mais la décision n’appartient pas aux banques... 


Ces derniers mois, les pouvoirs publics français se sont mobilisés pour renforcer l’attractivité financière de la France : selon vous, est-ce une prise de conscience de l’importance du secteur bancaire dans l’économie française après le Brexit ?

Le gouvernement a pris des engagements très volontaristes pour l’attractivité de la Place de Paris. C’est un signal très fort et très reconnu à l’étranger. Nous avons aussi, hélas, quelques handicaps, notamment le niveau des charges sociales, voire l’instabilité fiscale chronique dont nous sommes affligés. Il est très important que le Gouvernement confirme qu’il rompt avec cette mauvaise tradition, assure la stabilité et la prévisibilité fiscale, et ouvre des perspectives très claires de poursuite de l’amélioration de la compétitivité.

Le Brexit est donc une occasion historique de développer en Europe des marchés de capitaux assurant le financement de l’économie, et Paris est particulièrement bien placée pour y jouer un rôle majeur. Nous avons un intérêt collectif à ce qu’elle devienne le nouveau pôle d’excellence de la finance européenne. Le Gouvernement en est plus que conscient : il agit. Et les Français peuvent être fiers de leurs banques.


Quelles sont aujourd'hui les grandes priorités de l’UE pour assurer la compétitivité internationale du secteur bancaire européen ?

La principale priorité pour le secteur bancaire européen est la question de l’égalité de concurrence. Les  banques françaises sont en première ligne et réclament haut et fort un « level playing field » vis-à-vis des acteurs situés en dehors de l’UE, et en particulier aux Etats-Unis. 

L’Europe doit ainsi abandonner le projet de transposition anticipée des travaux de Bâle sur les risques de marché (« FRTB »). Dans le même temps, les Etats-Unis ont indiqué qu’ils n’appliqueraient pas ces normes ! L’Europe ne doit pas se tirer une balle dans le pied. 

Je pourrais aussi parler de l’accord de Bâle. On risque de le signer alors qu’il pénalisera essentiellement les banques européennes, qui s’y opposent unanimement. C’est regrettable, et cela montre que l’Europe doit s’émanciper et devenir le très grand acteur financier qu’elle peut être si elle le décide.