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Multinationales des pays émergents, focus sur les géants chinois

Lourdes Casanova est chercheuse universitaire, professeur à Cornell University et directrice du Emerging Markets Institute. Elle nous livre les dernières découvertes académiques sur les marchés émergents.

Multinationales des pays émergents, focus sur les géants chinois

Les dernières recherches académiques réalisées sur les marchés émergents révèlent que les grandes entreprises issues des pays émergents ont un fort potentiel de croissance et d’expansion mondiale. Il s’agit d’un phénomène d’ampleur, qui se manifeste plus particulièrement quand on analyse les multinationales chinoises. Celles-ci représentent aujourd’hui 108 des 500 entreprises listées dans le « Global Fortune 500 ». À titre de comparaison, 133 entreprises de la liste proviennent des USA.

Jusqu’à récemment, la littérature académique nuançait ce phénomène en arguant que, malgré leurs profits importants, les entreprises chinoises étaient essentiellement cantonnées à l’échelle nationale. Mais l’année dernière, les données du Capital IQ ont révélé que la plupart d’entre elles sont, en réalité, implantées dans plus de deux pays. Voici un chiffre particulièrement révélateur : quatre des cinq plus grandes banques du monde sont chinoises. L’année dernière, la Chine était la deuxième acquéreuse  du monde. 

Quel est le mode d’expansion des multinationales émergentes ? Naturellement, elles commencent par conquérir le marché national et leur marché naturel (sous-régions, pays environnants). Ensuite, selon les schémas, elles tentent une expansion vers les pays du Sud ou vers l’Occident. Nous avons remarqué que les multinationales d’Amérique Latine se dirigent tout de suite vers les États-Unis ou l’Europe après avoir conquis leur environnement immédiat, tandis que la Chine s’étend d’abord au Sud (Afrique et/ou Amérique Latine), avant de se jeter dans le “grand bain” des marchés européens et américain. Et, depuis la crise de 2008, elles sont de plus en plus présentes en Europe.

Les stratégies d’implantation diffèrent suivant les pays où ces multinationales souhaitent se développer : Le choix se portera plutôt (à 70%) sur de la création d’activités (« greenfield ») dans le cas d’investissements Sud/Sud alors que les fusions-acquisitions seront préférées à 60% dans les pays développés et notamment en Europe. Il faut également noter que l’expansion mondiale des entreprises des pays émergents se fait de moins en moins sur les secteurs traditionnels comme l’énergie et les matériaux, mais de plus en plus sur les biens intégrant un fort niveau technologique et servant de nouveaux secteurs comme celui des énergies renouvelables.

Une autre caractéristique de ces entreprises issues des marchés émergents, c’est leur immense flexibilité et la facilité avec laquelle elles se rétablissent d’une crise. Elles ont la capacité de faire évoluer très rapidement leur stratégie et leur organisation pour répondre à des besoins de croissance. La recherche du profit n’est pas forcément une priorité. Elles produisent des produits diversifiés à des coûts modestes (car le coût de la main d’œuvre est relativement bas), sans pour autant sacrifier la qualité. Ainsi, alors que les multinationales de pays émergents, notamment d’origine chinoise, ont jusqu’ici été considérées comme des concurrents jouant sur leurs faibles coûts, il est important de reconnaître qu’aujourd’hui ces entreprises misent sur la qualité et l’efficacité de l’ensemble de leur chaîne de valeur : « beyond cost leadership », avec toutefois, une image et une reconnaissance de leurs marques relativement faibles au niveau mondial.

De toute évidence, ce potentiel des entreprises chinoises n’aurait pas pu être réalisé sans le soutien appuyé du gouvernement chinois, qui met en œuvre un agenda rigoureusement capitaliste. La gouvernance des entreprises chinoises est étroitement chaperonnée par les décideurs politiques : ainsi, dans les entreprises d’État, un membre du parti communiste siège au même niveau que le dirigeant de l’entreprise. Quand c’est une entreprise du secteur privé, le gouvernement peut demander à en devenir actionnaire. Ainsi, d’après un article du Wall Street Journal, le gouvernement a récemment exprimé la volonté d’acquérir des parts de 1% à Weibo, Tencent et Alibaba. Ce mariage entre public et privé existe dans la plupart des pays du monde, mais il demeure occasionnel et cantonné à des partenariats ponctuels. En Chine, il s’agit d’une étroite planification qui lie les entreprises et le pouvoir politique. 

Ces analyses récentes apportent un nouveau regard sur la puissance croissante des multinationales issues des pays émergents et notamment de la Chine. Sans oublier, de surcroît, que ces grandes firmes ont un fort effet d’entraînement sur des entreprises de taille plus modeste, qui à leur tour, commencent à se déployer hors de leurs frontières nationales ou régionales.

 

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