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Institut Européen et International
Chine, les clés de la puissance
Julie Laulusa est directrice associée du cabinet d'audit et de conseil Mazars en Chine. Dans le cadre d'un numéro sur les marchés émergents, elle décrypte les secrets du miracle chinois.
La Chine est incontestablement la figure de proue des pays dits émergents, grâce à sa croissance économique fulgurante et à son marché intérieur. Selon vous, comment la Chine a-t-elle conquis cette position ? Quelles sont ses aspirations futures ?
Le développement chinois s’est fait en trois périodes :
- une période d’essor qui commence en 1978, avec l’ouverture économique impulsée par Deng Xiaoping. À l’époque, l’État chinois est un État social dont le rôle principal est de créer de l’emploi. Mais la Chine n’a pas encore le fameux savoir-faire et la technologie qu’on lui connaît aujourd’hui. L’État investit donc massivement auprès des sociétés étrangères pour développer le transfert de compétences. Pour soutenir ce mouvement d’ouverture à l’économie de marché, la Chine mise sur ses régions côtières, notamment Shenzhen et Shanghai. Les sociétés étrangères commencent à s’y implanter, attirées par l’attractivité fiscale et l’usage pérenne des terrains industriels (les entreprises peuvent exploiter un terrain pendant cinquante ans).
- De l’an 2000 à la crise de 2008 : entre 2000 et 2008, la Chine est encore, dans l’esprit de beaucoup, un pays émergent. Elle n’est connue que comme l’usine du monde et un terrain privilégié pour les investissements étrangers. Mais après la crise de 2008, le monde prend conscience de la puissance émergente chinoise, tandis que sa croissance économique atteint des sommets et que le pays accueille, pour la première fois, les Jeux Olympiques. C’est également durant cette période que la Chine “bénéficie” de deux événements importants : les attentats du 11 septembre 2001, qui mènent les États-Unis à se concentrer sur la guerre de l’Irak pendant plus de neuf ans, ce qui permet à la Chine d’émerger, et la crise financière de 2008, qui révèle la résilience de la monnaie chinoise.
- Après la crise financière de 2008, et jusqu’à aujourd’hui, la Chine entre dans une nouvelle ère, celle de la technologie de pointe et de l’innovation. En 2013, le gouvernement publie le plan de développement “Made in China 2025”, visant à développer la technologie de pointe chinoise et à impulser le design et l’innovation.
Quelles sont les aspirations de la Chine ? Un rapport de l’Institut Center for Economics and Business Research (CEBR), publié le 26 décembre 2017, nous livre des données qui se passent de tout commentaire : la Chine sera la première puissance mondiale en 2032, et parmi les cinq puissances mondiales du futur, trois seront en Asie Pacifique (Chine, Inde et Japon). Cette partie du monde représentera, dans quelques années, près de 50% du PIB mondial.
Quelles sont les clés de cette montée en puissance ? Je distingue deux atouts :
- la Chine est un des rares pays au monde qui met en place des plans de développement (quinquennaux ou décennaux) exécutés de manière rigoureuse, quelles que soient les difficultés. Ces plans de développement sont mis à l’épreuve de tests d’expérimentations au niveau local, afin d’en corriger les trajectoires, puis sont élargis et mis en œuvre sur le plan national.
- l’autre atout est la stabilité politique, qui est inhérente au système politique de la Chine puisqu’il existe un seul parti. Cette absence de pluralisme politique permet une grande cohérence politique dans la réalisation des plans économiques que j’ai cités plus haut.
Hormis la taille, quelles sont les principales caractéristiques du marché intérieur chinois ? Qu’est-ce qui différencie fondamentalement le consommateur chinois du consommateur européen ?
La principale différence, c’est que le consommateur chinois n’existe pas. Beaucoup d’investisseurs ne se rendent pas compte que la Chine est un continent qui présente une diversité sociale, culturelle et économique semblable à celles qu’on retrouve sur un continent comme l’Europe : par exemple, le Sud de la Chine est très différent du Nord. Cette diversité est telle qu’il est difficile d’établir un portrait du consommateur chinois moyen. En outre, elle existe à plusieurs niveaux :
- une diversité spatiale : la Chine compte des mégapoles géantes (comme Chongqing, qui compte plus de 32 millions d’habitants), des grandes villes (Shanghai, Pékin) et des petites villes (quelques milliers d’habitants).
- Une diversité des revenus : les plus gros revenus se concentrent dans les agglomérations de premier rang (Shanghai, Pékin, Shenzhen). Les revenus nets annuels dans ces zones tournent autour de 8000 euros : c’est presque le SMIC (hors charges) en France. Dans les villes de second rang, ce chiffre descend à 4000 euros par an. Dans les plus petites villes où vivent des populations moins favorisées, le revenu disponible descend à moins de 1000 euros par an. C’est un écart considérable.
- Une diversité ethnique : plus de 56 ethnies cohabitent en Chine, elles présentent des différences considérables en matière de culture, de modes de vie et même de physionomie.
- Une diversité générationnelle : compte tenu du développement économique très rapide de la Chine, la société a évolué de manière singulière. Ainsi, les plus jeunes Chinois (millenials) sont nés et ont évolué dans une relative prospérité économique, tandis que leurs aînés (plus de 40 ans) ont connu un cadre économique beaucoup plus précaire, voire marqué par la misère. Étant donné la diversité de leurs expériences socio-économiques, ces générations ont des modes de consommation différents. Il existe cependant un dénominateur commun entre elles : quel que soit son âge, le Chinois aime la technologie et s’adapte très rapidement à la nouveauté.
Un exemple très parlant est l’utilisation d’Internet : il y a 20 ans, les Chinois ne connaissaient pas Internet. Aujourd’hui, 80% de la population (toutes générations confondues) l’utilise dans la vie quotidienne. WeChat, qui représente 900 millions d’utilisateurs actifs par jour, a engendré une instantanéité des transactions et des communications. Grâce à cette application, les services clients sont opérationnels 24h/24. Lorsque je vais au restaurant, je n’apporte aucun moyen de paiement, WeChat sur mon téléphone mobile me permet de payer l’addition.
En matière de management interculturel, les entreprises européennes sont-elles aujourd’hui mieux formées aux clés de compréhension de la Chine ? Y a-t-il encore des marges de progression et quelles sont-elles ?
Beaucoup d’entreprises étrangères commencent à comprendre que la Chine est un marché-continent aux exigences bien spécifiques, et elles adaptent leur organisation à ces exigences : ainsi, pour répondre aux besoins des consommateurs chinois, les postes de middle management sont maintenant occupés par des Chinois issus de la jeune génération, et non plus par des étrangers, comme ce fut le cas par le passé. Cependant, les fonctions à très grande responsabilité sont encore monopolisées par des expatriés, souvent des seniors.
Les entreprises étrangères doivent également apprendre à apprivoiser la rapidité et l’instantanéité du marché chinois. Dans le monde des entreprises chinoises, on passe à la nouvelle technologie alors qu’on ne maîtrise même pas encore l’“ancienne” technologie. Du fait de cette rapidité, le succès ou l’échec d’une société implantée en Chine dépend de la réactivité de la prise de décision.
Du côté chinois, quels efforts ont été impulsés par les dirigeants politiques et les acteurs économiques pour stimuler l’attractivité du pays ?
J’ai déjà parlé des planifications mises en oeuvre par le Parti Communiste. Mais le lien entre les pouvoirs publics et les entreprises va encore plus loin : il faut savoir que les sociétés d’État représentent aujourd’hui plus de 50% du PIB chinois. Il y a une vingtaine d’années, ce pourcentage s’élevait à 70%. Cette baisse est due à la montée graduelle des sociétés privées et à leur forte capitalisation. Après le 19 ͤ congrès du Parti Communiste, une nouvelle loi a décidé de privatiser 15% du capital des sociétés d’État, mais aussi d’ouvrir la possibilité à l’État d’acquérir des parts dans les sociétés privées, afin d’avoir une porte d’entrée dans le secteur privé.
La stratégie de l’État chinois est ainsi d’accompagner les entreprises du pays pour les transformer en champions globaux, de manière à ce que chaque entreprise chinoise fasse partie des trois leaders mondiaux de son secteur, et cela fonctionne ! D’ici à dix ans, je pense qu’il y aura une entreprise chinoise dans les trois géants mondiaux de tous les secteurs. C’est déjà le cas dans l’électroménager (Haier) ou l’e-commerce (Ali Baba). Dans le classement Fortune 500, 110 entreprises chinoises figurent au palmarès des 500 plus grandes entreprises, alors que dix ans auparavant, aucune entreprise chinoise ne figurait dans ce classement.
Mais ce boom économique n’est pas seulement le résultat de l’action publique, c’est un phénomène multifactoriel : en Chine, les entreprises consentent à investir entre 10 et 12% de leur chiffre d’affaires dans la recherche et développement, contre à peine 5% pour les entreprises européennes. La révolution technologique et l’émergence de la classe moyenne chinoise font également partie des multiples facteurs qui expliquent cet essor.
Quelle est la stratégie de Mazars en Chine ?
Mazars vient de conclure des alliances très importantes avec deux sociétés chinoises, ce qui nous permet d'avoir plus de 3500 collaborateurs et de couvrir 28 villes du pays. Cette nouvelle étape conforte notre stratégie de présence dans un pays à fort potentiel comme la Chine, ainsi que notre capacité à “être chinois”, et à travailler en collaboration avec des sociétés d’État. Mazars est l’un des rares cabinets d’audit et de conseil au monde à avoir des china desk (bureaux de liaison et de coordination pour les entreprises chinoises désirant s’implanter à l’étranger) dans près de 30 pays. Nous sommes en train de renforcer nos investissements pour mieux accompagner les entreprises chinoises à l’étranger. Je pense que nous allons dans la bonne direction.