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Banque, mobile money et inclusion financière en Afrique

Papa Demba Diop est directeur commercial au sein de la filiale burkinabé de Société Générale. 

Banque, mobile money et inclusion financière en Afrique

Comment décririez-vous la stratégie de Société Générale sur le continent africain ? Quelles opportunités et quels défis se présentent à l’implantation ?

Il est vrai que l’Afrique a maintenant le vent en poupe sur la scène mondiale, mais Société Générale n’a pas attendu que le continent soit à la mode pour s’y implanter, puisque nous sommes présents en Afrique depuis plus de cent ans. Nous opérons en Afrique francophone, en Afrique anglophone (au Ghana et au Kenya, pays dans lequel nous venons d’ouvrir un bureau de représentation) et en Afrique lusophone et hispanophone (au Mozambique et en Guinée Équatoriale). Dans la plupart de ces pays, nous possédons d’importantes parts de marchés. Sur le plan de la stratégie, l’Afrique est donc un relais historique de la croissance de Société Générale.

En Afrique, nous opérons avec deux types de clients : les particuliers et les entreprises. Nous servons près de trois millions de clients particuliers et environ 150.000 clients entreprises. Notre stratégie corporate consiste à mettre l’expertise et le savoir-faire de Société Générale au service de nos partenaires entreprises, qu’ils soient africains ou internationaux. Nous avons également mis en place des clusters régionaux, en créant une salle de marchés à Abidjan (Côte d’Ivoire) et des hubs de financement structurés à Abidjan et à Casablanca.

La clientèle de particuliers présente, de mon point de vue, un challenge aussi inédit qu’innovant. Des modèles alternatifs de distribution émergent : mobile banking, mobile payment, agences mobiles. Cela nous a amené à créer un LAB Innovation basé à Dakar afin d’accompagner l’évolution de nos modes de distribution et de promouvoir la bancarisation en Afrique. Nous avons déployé des camions mobiles au Burkina Faso qui vont à la rencontre des clients dans les villages mais aussi des fonctionnaires affectés en provinces. Nous avons déployé au Burkina Faso l’une des premières agences bancaires digitales de la zone UEMOA, WELI BANK, pour offrir des services bancaires à nos clients patrimoniaux habitués aux standards internationaux.


Vous êtes justement président de Manko au Sénégal, une nouvelle offre qui permet à des populations non-bancarisées d’accéder à l’ensemble des services bancaires (paiements, crédit, épargne) par téléphone mobile. En quoi cette opération est-elle une révolution pour la banque ?

Nous avons lancé Manko dès 2013 afin d’apporter une nouvelle manière de consommer la banque en Afrique. Manko est un modèle disruptif à mi-chemin entre la banque traditionnelle et la micro-finance. Des conseillers en scooters, équipés de tablettes, démarchent des commerçants et des artisans et octroient des crédits directement sur leurs lieux d’activités avec, à la clé, un gain de temps considérable pour nos clients, qui étaient auparavant obligés de fermer leurs échoppes pour aller en banque. En l’espace de cinq ans, nous avons contribué au financement de l’économie sénégalaise avec des encours cumulés de près de 35 milliards de FCFA. Près de 10.000 clients nous font désormais confiance. Fort de ce succès, nous envisageons d’ouvrir une vingtaine de nouvelles agences.

Manko se veut donc une nouvelle solution de banque alternative, un laboratoire pour tester de nouvelles solutions en Afrique subsaharienne. Notre souhait serait de pouvoir dupliquer ce modèle dans d’autres pays d’Afrique.

 

En Afrique subsaharienne, les services bancaires sur téléphone mobile ont connu un véritable essor ces dernières années, bien plus que dans les autres régions du monde. Comment expliquer cet essor ? Le “mobile money” permet-il vraiment de résoudre le manque d’inclusion financière ? 

Le mobile money a un potentiel énorme, avec près de 250 millions d’utilisateurs prévus en Afrique d’ici 2019. Le marché du mobile money pourrait s'élever à près d’un milliard et demi de dollars. Ce phénomène a connu un essor car les virements et les prélèvements bancaires pour payer des factures d’eau ou d’électricité sont peu répandus en Afrique.

Les banques adoptent généralement deux stratégies de mobile money : certaines choisissent de nouer des partenariats avec les opérateurs téléphoniques et d’autres décident d’avoir leurs propres solutions internes, ce qui est la position de Société Générale.

Au niveau de Société Générale, nous avons développé Yup, une solution interne de mobile money qui permet à nos clients camerounais, sénégalais et ivoiriens de payer leurs factures, effectuer des achats chez des commerçants, transférer de l’argent à leurs proches. En tant que banque, nous avons l’atout de savoir gérer des flux monétaires importants et d’avoir des relations très approfondies avec les entreprises. Les banques comme la nôtre font donc du mobile money un coeur de leur activité car il s’agit d’une opportunité incontournable. La concurrence en Afrique de l’Ouest est moins développée qu’en Afrique de l’Est, ce qui nous confère un positionnement stratégique privilégié sur cette région ouest-africaine.

En matière d’inclusion financière, le mobile money, et d’autres modèles alternatifs, sont des pistes pour développer la bancarisation en Afrique. Cependant, le mobile money ne couvre qu’une partie des besoins bancaires, les paiements et les transferts d’argent. Il ne permet pas à ses usagers d’avoir recours à l’emprunt, qui est une composante essentielle de l’inclusion financière.

Mais des solutions voient progressivement le jour pour pallier ce manque : au Sénégal, Société Générale a développé une offre de Manko qui permet de faire des emprunts et des dépôts bancaires. Au Burkina, nous avons développé un modèle de banque itinérante, avec des camions qui sillonnent les régions rurales pour aller au contact des villageois et des fonctionnaires de province.

 

Malgré l’émergence de ces offres innovantes, plus de 300 millions d’Africains sont privés d’accès aux services bancaires. Quels sont les principaux défis de l’inclusion financière en Afrique subsaharienne et comment y remédier ?

  1. Le premier frein à l’inclusion financière, c’est la faiblesse de l’épargne longue. En effet, l’économie informelle étant très développée, la plupart des Africains ne déposent pas leur épargne dans les banques, ou alors pour des durées relativement courtes. Or, aujourd’hui, aussi bien les prêts bancaires des particuliers que les investissements des entreprises se font sur des durées relativement longues. Il existe donc un décalage entre la durée de l’épargne et les besoins dans le temps. En France, ce problème a été résolu avec le développement de l’assurance-vie et du PEA (Plan d’Épargne en Actions). On gagnerait aussi à développer cette épargne en Afrique.

  2. Deuxièmement, l’Afrique a aujourd’hui besoin d’investissements importants pour développer les infrastructures. On estime ce besoin à près de 100 milliards de dollars par an ! C’est considérable, et le système bancaire ne peut pas assurer cet investissement. Ce qu’il faut donc faire, c’est développer de vrais marchés financiers, à l’instar d’Euronext. Les marchés existants sont à la fois trop nombreux et trop étroits : il faut aller vers une mutualisation des marchés financiers pour les rendre plus productifs.  

  3. Ensuite, le tissu des PME est très important sur le continent, mais ces PME ne sont pas suffisamment capitalisées, elles disposent de peu de financements et ne fournissent pas suffisamment d’informations comptables et financières fiables. À ces problèmes s’ajoute souvent une certaine porosité entre le patrimoine du dirigeant et les acquis de la société. Il faut donc développer les solutions de garanties proposées par l’AFD (Agence Française de Développement) et la Banque mondiale pour que les risques soient partagés entre l’ensemble des parties prenantes.

  4. Enfin, l’Afrique est encore peu développée sur le plan de la digitalisation. Il faut continuer la marche vers le digital, car la bancarisation traditionnelle telle qu’on la connaît en Europe ne verra pas le jour sur le continent. Société Générale apporte sa pierre à l’édifice en incubant des start-ups digitales au sein même du groupe. Nous avons également organisé un hackathon avec des acteurs du monde informel venus de toute l’Afrique pour développer l’inclusion financière. 

 

Société Générale est essentiellement présente dans les pays d’Afrique francophone. Or, les pays anglophones présentent des opportunités intéressantes en matière de services bancaires. Quel est l’impact des différences culturelles et linguistiques dans les choix d’implantation de SG ?

Historiquement, Société Générale s’est implantée en Afrique pour accompagner ses clients français en Afrique. Avec l’émergence de la mondialisation, nous nous sommes développés sur d’autres zones pour accompagner nos clients locaux. Depuis le 1er janvier, nous avons déployé une organisation régionale au niveau de l’Afrique avec désormais cinq régions, le Maroc, le Maghreb hors-Maroc, l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique Centrale et les DOM-TOM. Cette approche “région-centrique” nous permet de cerner plus facilement les particularités africaines.

Cette question de management interculturel est très intéressante, car il ne peut pas y avoir d’internationalisation sans prendre en compte l’aspect RH. Depuis quelques années, nous avons un programme pour repérer et faire émerger des talents africains, raison pour laquelle plusieurs de nos filiales sont maintenant dirigées par des nationaux. Les personnes qui possèdent une double culture sont particulièrement valorisées.